Cherchell: « Coin de Grèce transplanté en Afrique du Nord… »

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Cherchell, née d’un terreau maure, baigne dans une mer entourée de pentes verdoyantes qui exhalent un parfum d’Attique. Son histoire ne fait que légitimer sa personnalité et son appartenance aux mondes à la fois méditerranéen, africain et oriental. Tous les soubresauts dus aux soulèvement et aux conquêtes ont fait d’elle une cité indomptable.

 

Cherchell est le chef-lieu d’un arrondissement rattaché au département de Tipasa. La ville, par sa côte et ses contreforts du massif des Aït Menasser, nous rappelle un coin de Grèce transplanté en Afrique. Sur la place des Martyrs qui surplombe le mer, on voit une mosquée  qui fut une ancienne église de style doriaque.

 

Ateliers de sculpture de la Grèce

 

Mahfoud Kaddache, historien en parle ainsi : « Nulle part, on n’a découvert autant de statues antiques. C’étaient des copies d’œuvres célèbres. Le musée de Cherchell nous en offre quelques spécimens : un Hercule, copie d’un bronze de Myron, l’Apollon de Cherchell où on a voulu reconnaître une œuvre de jeunesse de Phidias, une Athéna dont l’original était dû à un élève de Phidias, Poséidon debout, Esculape assis, un buste de Dionysos, un torse d’Aphrodite, etc… »

A croire que les ateliers de sculpture de la Grèce antique avaient été transplantés à Cherchell, où Myron enseigna l’art sculptural aux berbères mauritaniens.

 

Cherchell ou Caesarea est héritière de l'ancienne Iol, capitale des rois numides : Massinissa, Micipsa, puis Bocchus. Elle fut rebaptisée Caesarea par le roi Juba II, fils de Juba I, allié de Pompée.

 

Cette capitale des Massyles fut dirigée aussi par Ptolémée qui succéda à Juba II, son père, en 23 de notre ère. Mais son règne ne fut pas long, éliminé prématurément en l’an 40 de notre ère par Caligula.

A la suite de cette tragédie, Caesarea devint la capitale de la nouvelle province de Mauritanie Césarienne créée par l’empereur Claude. Ce fut ainsi qu’elle perdit son autonomie et son prestige de cité fortunée.

 

Fondation et prospérité

 

Les débuts de sa fondation sont mal connus. Ce qui est sûr, c’est que le site fut occupé par des libyco-puniques qui pratiquaient le commerce. Iol fut sans doute le nom qu’ils lui donnèrent.

Des édifices d’une grande valeur furent bâtis sur le promontoire dominant la mer, dont le théâtre, l’un des plus anciens d’Afrique, avec celui d’Utique en Tunisie qui date du règne d’Auguste. L’urbanisation de Caesarea date de cette période. Toutefois, la plupart des constructions importantes du Ier siècle sont mises au crédit des rois de la Mauritanie, les Juba.

 

Le IIIe siècle, période où arrive à la magistrature romaine suprême une famille d’origine africaine, les Sévère, fut une période marquée par de grandes réalisations dans les cités de la Libye antique. Parmi elles, il y a la Porta Triomphalis du cirque et le complément de réaménagement du centre ville de Caesarea. La ville connut une poussée démographique et l’agrandissement de tous ses quartiers, à tel point que S. Gsell, historien français, en fit la seconde ville d’Afrique du Nord après Carthage, avec environ 100 000 habitants, au même niveau que Leptis Magna en Libye, avec ses 37 000 habitants.

 

Caesarea, semblable à la plupart des cités de l’Empire romain, établit son assise économique sur l’exploitation des terres agricoles. Ce développement agraire, fondé sur les villas que construisirent ses notables dans la campagne de la périphérie, débuta à l’époque des rois maures. On note l’existence d’un grand nombre de villas spécialisées dans le pressage des olives et pouvant mettre en batterie jusqu’à une vingtaine de presses. D’autres sont spécialisées dans les activités liées à l’élevage et la culture des agrumes, etc. Toutes ces fermes sont implantées en forme d’arc de cercle, autour de Cherchell sans tenir compte de l’obstacle topographique que constitue le petit montagneux qui s’intercale entre le littoral et l’Atlas de Bou-Maad.

 

Vie intellectuelle florissante

 

Les témoignes littéraires rapportent que la vie intellectuelle à Caesarea est l’une des plus florissantes du monde méditerranéen. C’est dans cette cité qu’Emeritus, l’un des chefs des Chrétiens Donatistes créa son cercle spirituel. En 418, Saint-Augustin vint y enseigner sa doctrine dans la principale église de la ville. Ce milieu savant favorisa l’émergence de Priscien, un célèbre grammairien byzantin, parti par la suite à Constantinople pour y enseigner.

 

Léon l’Africain, géographe andalous du XVIe siècle, émit l’hypothèse que Cherchell aurait été abandonnée au Moyen-âge, jusqu’à sa reconstruction par les Andalous, au début du XVIe siècle. Des vestiges attestent de la présence des Zirides, des Fatimides et même des Mérinides qui l’avaient annexée bien avant.

Il est vrai que l’arrivée des Andalous est liée à une renaissance de toutes les activités de la ville. Cela s’explique par le fait que quelques années plus tard, l’installation à Cherchell de corsaires turcs faillit lui rendre son ancienne capitale. Mais elle finit par tomber rapidement sous le contrôle des Turcs d’Alger. Arroudj y éleva une forteresse en 1518, qui fut détruite à la veille de la deuxième guerre mondiale. Son frère et successeur, Khair-Eddine, y délégua un caïd assisté de dix notables. Dans la partie la plus ancienne de la ville subsistent de nombreuses maisons de l’époque ottomane, ainsi qu’une mosquée transformée en hôpital à l’époque coloniale.

L’administration turque n’eut pas d’influence dans la région et rencontra une forte opposition de la part de la population locale. Toutes les contrées environnantes étaient autonomes et appartenaient aux tribus de Aït-Menasser, dont les territoires s’étendaient de la partie orientale de la Mitidja au vieux Ténès.

 

Au XVIIe siècle, deux grandes familles maraboutiques se disputèrent le contrôle de la région : les Brakna ; tribus des Aït-Menasser, alliées aux descendants de Sidi Mohamed Al Berkani dont le tombeau-zaouïa se trouve à Médéa et les Ghobrini.

 

En mai 1840, l’armée française prit possession des lieux qui dépendaient auparavant du Khalifat de l’Emir Abdel Kader. Les Aït-Menasser, dirigés par Mohamed Ben Aïssa Al Berkani, lieutenant de l’Emir, demeurèrent indomptables. Ils résistèrent longtemps à la pénétration française et participèrent à l’insurrection de 1871, déclenchée par Al Mokrani et Haddad en Kabylie. Les tribus des Aït-Menasser conservèrent une forte personnalité malgré les rudes épreuves qu’elles subirent. La France fonda, en 1848, les centres de colonisation : Zurich, au pied de Sidi Amar, Novi a Sidi Ghilès, Fontaine du Génie, actuel Hadjret Enous en 1879, et de Marceau, actuel Menacer, en 1884.

 

A l’indépendance, la ville bénéficia de plusieurs plans de développement du fait que plusieurs sites et vestiges historiques étaient menacés de disparaître à jamais. Ainsi, les années fastes de cette ville, qui fut capitale et rayonna sur l’ensemble des villes méditerranéennes, furent ternies et effacées de la mémoire collective.

 

Nacer Boudjou

 

Publié dans Histoire

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